CANDY de Luke Davies

(Très bien) traduit par Mona de Pracontal Éditions Héloïse d'Ormesson

Ivresse céleste et prison terrestre

Candy de Luke Davies

Fascinée par les récits de junkies en tout genre, de Burroughs à De Quincey ou Irvine Welsh, je n'avais jamais compris d'où me venait cet attrait pour des âmes égarées qui, à l'ère de l'image et de la performance, sont souvent estampillées "rebuts inaptes" ou "brebis galeuses".

Il m'aura fallu tomber, un peu par hasard, sur le roman Candy pour identifier la source de ma curiosité de longue date.

L'auteur, Luke Davies, est avant tout un poète, et malgré les affres qu'il a infligées à ses neurones et à son âme, celle-ci est restée plus ou moins intacte. Sous sa plume crue, la triste routine de ceux qui ne savent s'aimer ni aimer le monde que quand le poison corrode leurs veines prend une dimension universelle.

Grâce à son éloquence de junkie rescapé, j'ai enfin saisi ce qui me plaisait tant dans ces vies parallèles : l'extrême paradoxe entre l'extase quasi-mystique qui, l'espace d'un fix, semble arracher l'heureux récipiendaire à la laideur du monde et l'innommable bassesse du processus d'approvisionnement auquel est réduit le toxicomane. L'animalité, le dégoût de soi et le sordide comme conditions d'accès à la jouissance suprême. L'ivresse céleste glanée dans les tréfonds d'une prison terrestre. Narcose schizophrénique. Le "Jésus Jaune" (Saint-Graal dont le narrateur finit par obtenir la recette) réconcilie, dans la fuite et l'auto-destruction, les pôles les plus éloignés de la conscience humaine.

Sans complaisance ni misérabilisme mais avec un bon "képa" d'humour, souvent noir, et d'auto-dérision, Luke Davies décortique avec une lucidité troublante les mécanismes implacables de la dépendance : repli sur soi, déni, mensonges, (dé)sacralisation, espoirs illusoires... et plus dure est la rechute. Il relate l'effroyable descente aux enfers dans laquelle, trop amorphe, égoïste et insouciant pour la préserver, il entraîne la femme-enfant qu'il aime (qui l'aime) éperdument : Candy. Quand on aime, on partage tout, non ? On peut tout surmonter ? Même le meilleur qui devient le pire ?

Enserré dans l'étau du manque et de la léthargie psychotrope, l'amour ne triomphe de rien, et surtout pas d'une substance qu'on invite avec tant de ferveur à envahir ses veines, son lit, son intimité. Le couple qu'on a vu frémir d'une enviable tendresse délurée, gorgée du soleil d'un idyllique été à Sidney se meut bientôt en un abject ménage-à-trois où plus rien ne compte hormis la nébuleuse limpidité de l'héroïne.

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