One Break, A Thousand Blows! Une pause, mille coups ! mêle fiction et théorie et se refuse à choisir clairement entre les deux. S’appuyant sur des œuvres littéraires japonaises célèbres, il revisite le mythe de l’écrivain nippon en évacuant habillement toute mythologie orientaliste. Mélange d’onirisme érotisant et de réalisme quasi-désincarné, ce livre affirme qu’il n’existe aucun écart entre sexualité et structure textuelle ; il aspire à un devenir anti-métaphorique, cherchant à échapper à la logique du modernisme et du postmodernisme.

Cannibalisant chaque livre auquel il fait référence Une pause, mille coups ! est foncièrement investi dans la bibliolâtrie, ses protagonistes polymorphes sont incessamment soumis à l’utilisation occulte de livres dans un but divinatoire. Une pause, mille coups ! oscille entre poésie du corps et mécanique de l’intellect.

→ Plus d'informations sur les sites des éditions è®e et Bookworks

Extrait

"Question horticulture, le président Kato était plus versé dans la théorie que dans la pratique, et la réaction de Ryu lui rappela les agissements de ces collectionneurs britanniques du dix-huitième siècle qui envoyaient des hommes à l'autre bout du monde détruire toutes les variétés d'orchidées locales, sauf une. L'idée étant de faire monter sa valeur en flèche. Le président se mit à rire.

— Eh oui, je savais que ça vous ferait glousser, mais n'empêche que c'est vrai, quoique vous en pensiez.
Ryu se leva et passa en revue la bibliothèque de son collègue, à qui il tournait désormais le dos : Broken Silence: Voices of Japanese Feminism d'Aoki Yayoi, Ide Sachiko, Kanazumi Fumiko et Kora Rumiko (exemplaire non traduit). Beauty Up: Exploring Contemporary Japanese Body Aesthetics de Laura Miller. Male Homosexuality in Japan: Cultural Myths and Social Realities de Mark McLelland. C'est Ryu qui avait fait découvrir au président cet innommable courant de pseudo-sociologie apparu après les années soixante.

— Vous vous méprenez à mon sujet, Ryu. Je vois bien où vous voulez en venir. J'ai compris votre petit manège depuis que vous avez acheté cette poignée de shunga du dix-septième siècle, toujours soucieux de les cacher au grand public.
La voix de notre cher président grimpa soudain à son plus aigu.

— Si je ne m'abuse, vous tentez de sauver notre belle et innocente héroïne du regard profane des philistins pour éviter que l'image de Tomi ne soit clonée en masse, reproduite et disséminée en millions de copies aussi belles que l'originale si ce n'est plus. C'est ça, non ? Croyez-moi, Ryu, je sais ce que vous ressentez. Quand je vois ce que nous servent des imposteurs comme Yumiko Kayukawa ou Masakatsu Sashie et tout un tas d'autres jeunes parvenus, je pâlis d'effroi. Ils plagient, copient-collent, raboutent n'importe comment le neuf et l'ancien. Résultat : tout ce qui, à la base, est solide disparaît en fumée ! Ils me font penser à ces artisans véreux qui reconstituaient à la glu des antiquités grecques en ajoutant ça et là de faux fragments patinés au thé. Tout ça dans l'optique de faire du profit sans attendre. Et le même phénomène se produit en littérature aujourd'hui. Les jeunes sont assaillis de livres décérébrés : quand ce n'est pas par les mangas ou les films d'animation, c'est par l'hémoglobine à outrance d'un Ryu Murakami ou les récits initiatiques à la guimauve d'une Banana Yoshimoto qu'ils sont distraits. Tout ce qui est sacré, on le profane ; mes étudiants ne parviennent même plus à apprécier, sans parler d'absorber, l'étrange clarté de Basho, l'esthétique de Buson, ou le charme dévastateur et nihiliste d'Issa...

Le président Kato était sur sa lancée : il déblatérait des âneries, fidèle à son devoir (au sens strictement kantien du terme) et Ryu sentit qu'il n'était pas près de s'arrêter. Se prêtant au jeu de son ami, il hochait la tête de temps en temps, mais son esprit était ailleurs. Bien sûr, Tomi hantait sa rêverie éveillée."

→ Lire la bio de Morgane Saysana
→ Liste des publications